Cette semaine je suis en formation initiale de directeur. Elle arrive à propos, après un mois de travail acharné. Nous avons beaucoup à apprendre, car le champ de nos compétences est très étendu. Chaque moment de la formation apporte son lot de normes et procédures administratives. Des applications à renseigner, des affichages à réaliser, des taux d’encadrement à vérifier. Si un directeur d’école n’a aucune autorité hiérarchique, c’est à lui qu’incombe la lourde tâche de s’assurer que l’action des enseignantes est cohérente avec la politique éducative, ce qui implique un gros travail administratif pour lever des obstacles à l’exercice de leur métier. Cette semaine j’entends que la directrice agit sous la responsabilité de l’IEN et du DASEN, mais que c’est elle qui doit collecter et transmettre l’information, communiquer avec tous les autres partenaires dont la municipalité, pour signaler, par exemple, les dysfonctionnements d’une alarme, d’un portail, d’un système de chauffage. Il faut faire preuve de diplomatie, rien ne peut se faire sans négociation. Les enseignantes, la directrice ne sont pas que les usagers des locaux, elles sont aussi représentantes d’un corps d’état et doivent pouvoir travailler sereinement dans le respect du cadre que leur garanti la loi. Mais il faut travailler avec patiente et abnégation pour faire valoir toute demande dont le financement revient au tiers propriétaire des lieux.
« Le directeur d’école informe les parents de la décision du conseil des maîtres relative au maintien de l’enfant. En cas de désaccord, les parents peuvent faire appel de la décision après de la commission départementale. » Deux journées passées loin de l’école et me voici en train d’anônner la leçon apprise. J’ai beaucoup de respect pour les collègues qui interviennent sur cette formation – je connais la plupart d’entre eux. Mais parce que j’ai fait leur métier pendant des années, parce que j’ai décidé d’éprouver comment ça se passe plus près du terrain, je perçois l’effet catalogue de leurs interventions, je ressens ce sentiment de crouler sous les injonctions et de ne plus savoir où donner de la tête. Alors même que je travaille avec une décharge totale d’enseignement, ce qui n’est pas le cas de la plupart des directrices présentes à la formation.
Un collègue m’a envoyé récemment un visuel réalisé par l’institut français de formation. Visible, apparaît la tâche d’organisation qui incombe au directeur lors de l’élection des représentants de parents d’élèves au conseil d’école. Invisibles, toutes les tâches répétitives, chronophages que nécessite cette mission. De retour à l’école le mercredi, je replonge dans cette logique absurde. La participation des parents d’élèves à la vie de l’école est importante. Pour l’élection de leurs représentants, il est prévu de procéder à un vote. Dans mon école une seule liste se présente. Pour un résultat déjà connu, plusieurs centaines de bulletins de vote imprimés, assortis d’un flyer explicatif. Le même nombre de lot de 3 enveloppes pour permettre à tous le vote par correspondance. Pas très éco-responsable tout ça. Un texte de loi permet le vote électronique, mais personne n’est en mesure de l’organiser. Aucune application informatique à l’ordre du jour, et recourir aux services d’une société privé demanderait de débloquer un budget. Qui pour payer ? Le rectorat ? Les municipalités ? Ce mercredi matin sept parents d’élèves volontaires passent deux heures à mettre le matériel de vote sous pli. Il sera distribué aux familles, les retours seront aussi gérés par les enseignants et le directeur. Papier et huile de coude. Merci aux parents qui prennent le temps de se réunir pour « donner la main ». Beaucoup d’humanité dans tout ça, cela vaut peut être mieux qu’une application informatique qui mettrait toujours plus les gens à distance les uns des autres.
J’écris cette chronique au fil des jours. Nous continuons à étudier des textes, lois, circulaires, documentation. Cet appareil législatif cadre notre action et sert de socle en cas de contestation ou de problèmes plus grave. Cette semaine de formation permet de faire évoluer en moi cette figure énigmatique de l’enseignant directeur, à savoir sa posture professionnelle. Comment aborder telle situation problématique au regard de la loi et dans le feu de l’action ? Rares sont les occurrences réellement urgentes alors que le temps du ressenti est intense. Il peut aveugler les personnes, leur faire adopter un comportement irrationnel et contre productif. Face au surgissement du réel, savoir prendre le temps de se poser. Se demander qui est compétent pour gérer la situation. La mettre en débat avec plusieurs personnes, solliciter celles qui peuvent amener un conseil technique. Faire un travail d’apaisement, d’écoute, de médiation. Préciser de quoi on parle, se référer à un objet plus qu’à du ressentiment et des opinions.
Une dernière chose, factuelle. Il manque beaucoup de médecins scolaires sur mon département. Leurs missions n’ont pas changé, mais elles ont été priorisées au niveau académique. Un secteur découvert, dont le poste n’est pas pourvu, ne bénéficiera de l’intervention du médecin scolaire d’un autre secteur que pour des missions très ciblées, dont les situations d’urgence liées a la protection de l’enfance. Le travail administratif est partagé entre les secrétaires des centres médico-sociaux et les directrices d »école. A quand un travail de priorisation des tâches de ces cheffes d’établissement qui gèrent seules toutes leurs missions ?
Vendredi soir, une terrasse de café dans Toulouse. La première semaine de formation est finie, j’ai pris le temps de boire un coup après avoir fait quelques courses. Demain je retourne à l’école, puis viendra la pause dominicale. Ensuite il restera deux semaines avant les vacances scolaires d’automne.