Tâches en cascade

Ouvrir la porte à un papa qui vient récupérer son enfant malade. Traiter un mail sur lequel se sont posés mes yeux et me rendre compte qu’il faut du temps pour vérifier les informations. S’y reprendre à trois fois sur deux jours pour finaliser un tableau et l’envoyer au service demandeur. Répondre dans l’instant à des sollicitations diverses qui sont très importantes pour les personnes qui les portent et prennent le pas sur mon plan de travail, la « to do list » écrite le matin en débutant la journée. Lorsque vous croisez un directeur d’école pour lui demander quelque chose, lui signaler le comportement d’un enfant, dites vous qu’il est fort probable qu’il soit en train de penser à plusieurs choses à la fois. Dans le désordre : j’étais en train de me rendre à tel endroit pour y déposer un document ; dans cinq minutes un parent va se présenter à la porte de l’école pour ramener son enfant de chez l’orthophoniste ; j’ai un coup de fil super important à passer ; il va bien falloir que je finisse ce travail de recensement des enfants bénéficiant de tel protocole.

Même si j’ai étendu mon temps de travail sur la semaine, j’ai trop de tâches à effectuer pour le temps dont je dispose. Admettons que j’ai 80h de travail à faire. Je dispose de 55h sur une semaine de 5 jours à raison de 11h en moyenne par jour. En travaillant certains jours jusqu’à 12h – et en allégeant le mercredi après-midi, je peux faire 5h de plus. En travaillant un jour supplémentaire en week end, je peux faire 8h supplémentaires. Manquent toujours 12 heures, l’équivalent d’une grosse journée. Et il n’est pas question que je travaille les deux jours de week-end. Je débute dans les fonctions de directeur, je découvre l’école et son fonctionnement, chaque tâche me demande un temps d’appropriation. Je dois apprendre à m’organiser, car j’ai tendance pour l’instant à réagir au cas par cas, abandonnant un travail pour en commencer un autre, puis un autre. Mais à l’instant où je rédige ces lignes, je ne vois pas comment faire pour réaliser tout le travail qui m’incombe.

Sans doute faut-il que j’apprenne a m’organiser, à dire non : « veuillez attendre que je termine mon mail », « merci de repasser dans cinq minutes ». D’aucuns diront que le plus dur c’est d’entrer dans le rythme et que lorsque j’y serai habitué je penserai moins et j’agirai plus, gagnant ainsi en efficacité. Un coach m’apprendrait sans doute à être proactif, à hiérarchiser mes tâches, à dédier tel travail à tel type de moment de la journée. Ce sont les choses que je mets en en place au fil de l’eau, sur le tas, et dans l’inconfort. J’ai dans l’idée qu’il me faut fixer des priorités. Mais qu’est ce qui fait qu’une tâche est prioritaire ? Parce qu’il y a une échéance dans le calendrier. Parce que sa réalisation est importante dans l’intérêt des enfants, de la sécurité de l’école, parce que c’est une demande institutionnelle, parce que je m’y suis engagé auprès d’un partenaire, parce que c’est un mail important pour l’organisation du travail des collègues. Mais aussi parce que quelqu’un vient d’entrer dans mon bureau, que ce soit un enfant exclu de la classe par sa maîtresse, un membre de la communauté éducative ou toute autre personne. Parce que le téléphone ou l’interphone sonne, parce que je viens de recevoir un SMS ou un post sur la messagerie instantanée en usage dans les équipes.

Quel rapport est-ce que j’entretiens à ce nouveau métier ? Est-ce que je ne me mets pas la pression, voulant trop bien faire, me sentant obligé de prouver quelque chose, de ne pas décevoir mes collègues ? Il n’y a personne pour me dire de finir tel travail dans la journée. C’est plutôt la déferlante d’informations, la multitude de sollicitations qui créent le sentiment d’être continuellement en retard et sous pression. Une collègue me demandait récemment si je suis content de mon nouveau travail. Je n’ai pas pu répondre à cette question. Je me sens comme balloté, bousculé par une forte houle. Au quotidien je réalise beaucoup de tâches, j’avance sur les dossiers importants, mes collègues et moi commençons à mettre en place des habitudes de travail, des modes de communication. Je ne me sens pas en difficulté, même s’il y a des moments plus difficiles que d’autres. J’ai mis en place quelques dispositifs, comme baliser des temps de travail porte entrebâillée, téléphone en mode silencieux et application de messagerie fermée. J’ai même senti un léger mieux dans mon appréhension d’un rapport au temps en profonde mutation.

En écrivant j’élabore le récit de ma prise de fonction, je mets à distance le réel pour ne pas tomber sous l’emprise d’une fonction dans laquelle il serait trop bête de s’abîmer.